Être de passage

Classé dans : Chroniques urbaines | 8

« Il faudrait peut-être cesser de voir Paris comme un livre d’images » Raymond Depardon, « Paris Journal ».

Dans les étroits passages de Paris, survivants épargnés des percées urbaines, le voyage est sûr et peu dangereux, les lumières adoucissent une ambiance qui pourrait se retourner contre le passant, la nuit tombée, les portes fermées.

Le silence s’installera et les bruits de pas résonneront curieusement.

Le passage peut commencer.

L’espace se rétrécit au fur et à mesure de la progression ; les passagers en transit, égarés, deviennent furtifs, les façades se rapprochent, la déambulation sourde à travers grilles et recoins.

Une autre dimension s’installe, avec cette sensation de ne pouvoir s’extirper de ces dédales infinis.

La progression est lente et de transition en transition la lumière s’amenuise, les couleurs s’évaporent, les trouées verticales se tordent, les virages dessinent des sorties impossibles et des mondes parallèles, où dans d’improbables lieux les choses se répondent et dialoguent dans le silence ; les agencements autrefois familiers prennent une tournure spéciale comme s’ils attendaient notre passage pour nous transmettre un peu de leur histoire. Tronqués, encombrants, inutiles ils revivent un bref instant dans nos esprits pour s’évanouir.

La couleur se refroidit et s’illumine au fur et à mesure d’une progression vers une issue inattendue, une dernière descente pour remonter vers la lumière.

Il y aura bien sur toujours au bout du chemin une possibilité qui s’estompera à chaque fois vers cette sortie fantasmée et inatteignable.

Silhouette marchant d’un pas mécanique vers sa fin, ignorant tout des chemins restant à parcourir ; illusion d’une échappatoire se refermant sur son espoir.

La grande ouverture tant attendu devient la chambre des erreurs et contradictions passées et futures là où devrait renaître la force des certitudes et des convictions.

 

8 Responses

  1. Pascal

    Amor,
    le nouveau style ne s’est pas fait attendre.
    Un beau récit bien écrit ou plutôt une belle intrigue bien amené avec ce déroulement un peu Hitchcockien crée par ce passage de la couleur au noir et blanc et cet ensemble qui anime bien cet effet de labyrinthe. En prime une chute comme je les aime. j’ai pris plaisir à te lire. Les photos sont excellentes
    j’adore la renaissance Amor. 😉
    Beau travail.!

    • Amor

      Merci beaucoup Pascal.

      Content que mon histoire tienne la route ou plutôt le passage.
      Il y a longtemps que je voulais évoquer les passages parisiens, sans faire bateau, mais je n’avais pas l’angle d’attaque.
      Un passage dans le sentier m’a donné une petite inspiration.

  2. Lounamai

    J’aime beaucoup ton approche très inspirée pour raconter cette série: un texte parfaitement écrit et des photos bien réalisées et surprenantes !
    Je suis particulièrement sous le charme de « Cassure » un N&B graphique et contrasté qui laisse place à l’imaginaire

  3. Anne LANDOIS-FAVRET

    Très sympathique cette prose, moi je n’en suis pas capable, chapeau !
    L’histoire est bien montée, la fin marrante !
    J’aime bien « piège », « effacer les traces »mondes parallèles » et « ils sont là ».

    • Amor

      A vrai dire je ne le savais pas non plus, je n’ai jamais vraiment aimer les dissertations et écrire. C’est sorti je ne sais comment, une inspiration.

  4. esther FR

    Comme tu évoquais Depardon, que je n’ai pas (encore) lu, j’ai cru que tu citais un de ses textes. Bravo donc pour cette jolie prose, qui accompagne parfaitement les photos (ou l’inverse).
    Au delà des passages, c’est l’homme au bout du chemin… même lorsqu’il n’est pas présent, il est bien là, comme le gardien. J’aime particulièrement la photo « piège », je n’arrive pas à savoir pourquoi, peut-être que ce salon tout au bout du couloir m’évoque un monde secret… Le cadrage de « ils sont là », top !

    • Amor

      Merci Esther
      La phrase de Depardon que je cite elle me parle beaucoup, cette ville est quand même extrêmement « caricaturée » pas certains photographes. Bon c’est un autre débat.
      Le « salon » piège m’a fait pensé à la chambre dans « 2001 Odyssée de l’espace », une illusion ou un piège. Finalement il vaut mieux retourner dans les méandres des passages.