Réduire le bruit.
Ces quelques réflexions n’ont pas pour objet de parler du fameux bruit numérique qui apparaît sur les photos dans les basses lumières mais du bruit qui peut être atténuer dans les photos de rue en choisissant au post-traitement d’opter pour le noir et blanc.
Nous avons maintenant un choix technologique confortable que n’avait pas les anciens qui évoluaient dans un autre environnement matériel avec des contraintes techniques rendant les pellicules couleurs inutilisables en mode photo de rue.
La couleur est apparue dans les photos de rue assez tardivement pour ces raisons notamment à cause de la sensibilité insuffisante de ces pellicules ; les pionniers de la couleur, ont, comme souvent, subit les foudres de la critique avant d’être reconnu par les grandes institutions ; par la suite ils deviennent des précurseurs reconnus signe d’une nouvelle modernité.
L’histoire de l’art indéfiniment répété à chaque rupture.
Official website of William Eggleston and the Eggleston Artistic Trust.All images © Eggleston Artist Trust. All rights reserved.
Ici une photo couleur d’un noir et d’un blanc!!! de William Eggleston.
Cet article m’a donné l’occasion de rechercher des photographes couleurs pionniers et moins connus ici une photo de Fred Herzog.
Depuis, la photo de rue s’est considérablement diversifiée et popularisée, la qualité technique des appareils modernes y est pour beaucoup, les capteurs des appareils numériques de plus en plus performants permettent des prises malgré des conditions difficiles. Les forts contrastes ne sont plus un handicap majeur pour peu de bien les gérer à la prise de vue.
De l’intérieur très sombre de l’Eglise Saint Paul vers la rue Saint Antoine ensoleillée.
Ici un soleil contre jour après la pluie ou encore des tongs sous un soleil puissant.
Dans les galeries de photos de rue sur FLICKR et dans les blogs, j’ai la nette impression d’une forte prédominance du noir et blanc sur la couleur.
Un choix esthétique ? une habitude héritée de l’argentique ? un souci de cohérence ? une volonté d’inscrire ses photos dans une sorte d’intemporalité ?
Un choix esthétique ;
Un choix purement esthétique pour plus de cohérence entraîne une pratique un peu restrictive de la photo de rue et peut devenir monotone à la vision. Certes la recherche dans les villes de certains aspects graphiques, de lignes puissantes, d’ombres portées est intéressante et peut développer la créativité mais est-ce qu’après avoir inclus un humain dans ce cadre, on a une bonne photo de rue ? Toute photo de rue n’est pas bonne en noir et blanc et vice versa avec la couleur. Et même chez ces puristes du noir et blanc en descendant leur galerie il est bien rare de ne pas trouver une photo en couleur.
Une boutique qui a une couleur rouge (pas un hasard) ou un chapeau jaune croisé un soir d’hiver.
Une tradition héritée de l’argentique ;
Pour ceux qui continuent l’argentique il doit y avoir effectivement un grand plaisir de pouvoir développer la pellicule, d’interpréter son négatif et continuer une certaine tradition. Le pourront-ils encore longtemps ce n’est pas sur. Récemment des grands cinéastes (Scorcese, Tarantino,…) ont écrit une lettre ouverte pour faire pression sur les grands studios de cinéma américain qui voulait abandonner la pellicule 35mm.
Des photos argentiques sur Flickr de quelqu’un dont j’apprécie beaucoup la vision de sa ville (Clermont Ferrand). L’homme qui murmure à l’oreille des murs.
chetbak59 L’homme qui murmure à l’oreille des murs.
Un souci de cohérence ;
Le souci de cohérence est légitime à condition de choisir avec soin ses tonalités et sont post- traitement. Chaque photo doit s’inscrire dans un shéma de pensée rigoureux, afin de produire une continuité visuelle. Le résultat doit se démarquer et être esthétiquement intéressant ; la Chine en Noir et blanc chez Bahai Yang Hui.
Une volonté d’inscrire ses photos dans une sorte d’intemporalité.
Vouloir gommer le temps dans ses photos, mais pourquoi ? De toutes façons à moins de recréer de toutes pièces les anciennes conditions de prise de vues, chaque photo s’inscrit dans son temps, il est illusoire de recréer le passé ou d’effacer la modernité. Le cachet du passé s’acquiert avec le temps, chaque époque a produit son esthétique, un Noir et Blanc des années 30 n’est pas celui des années 50, qui n’est pas celui des années 70 (type de pellicule, appareil de prise de vue, sujet photographié), les premières photos en couleur ne ressemble à rien de connu actuellement. La ville a changé, les gens ont changé, les apparences (les looks) tout est différent.
Vous avez l’œil du photographe? alors trouver le ou les indices permettant de rattacher ces deux photos à notre époque.
Pour ma part le choix se fait au post-traitement. Il est guidé d’abord par le sujet principal, sa mise en valeur, la lumière, les points forts, les points faibles.
Ici un ballon bleu a attiré mon regard, la couleur bleue s’impose avec évidence.
Encore du bleu avec cette inscription murale où l’attente a fait jouer la correspondance.
Ou bien une photo pensée à l’origine en N&B et j’ai finalement laissée en couleur comme quoi…
Willy Ronis dont tout le monde connait ou a vu ses clichés noir et blanc disait à propose de ses photos couleurs (il en a fait). » A comparer ces images à ma production en noir et blanc, je n’y trouve pas de différence fondamentale. L’usage de la couleur n’a pas généré pour moi une manière différente de traiter les sujets abordés. Dès mes premières images, mon centre d’intérêt fut la personne humaine dans ses comportements les plus communs. » à propos de ses photographies en couleur, dans la post-face de l’ouvrage Paris-couleurs.
© Willy Ronis
Dans le domaine artistique seule la photographie et le cinéma sont concernés par cette dualité. Personne ne songe à coloriser les gravures de Gustave Doré ou les dessins de Léonard de Vinci.
Déjà dans les grottes préhistoriques on a des silhouettes dessinées sur la roche en noir et d’autres en couleurs. Faisait-ils un choix ou étaient-ils contraints par des raisons techniques de pigments ou de matières premières. Le choix de la pellicule en somme.
Heureusement la photographie s’en est sortie, elle a gardé sa richesse en monochrome et en polychrome avec des grands photographes contemporains dans les deux domaines. Et c’est tant mieux. Qui pense à SALGADO en couleur ou à MARTIN PARR en noir et blanc ? Personne.
Le cinéma a perdu, lui, quasiment plus de film de cinéma en noir et blanc (sans parler de l’effroyable colorisation de certains films N&B).
De tant à autre un OVNI N&B émerge comme The Artist (mais c’est une sorte de remake de film ancien typé Noir et Blanc), le meilleur de ces dernières années à mon sens Blanca Nieves.
Qui imagine le Manhattan de Woody Allen en couleur.
Qu’est qui compte EN FIN DE COMPTE ?
Que ce que le photographe a voulu montrer dans son intention soit lisible. Lisible en noir et blanc ou lisible en couleur.
Au musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
Pour conclure (c’est bientôt fini, un peu long le gars non…), les rues des grandes villes d’aujourd’hui sont saturées de mobilier urbain, d’automobiles, de publicité, de couleurs.
Une sorte de cacophonie urbaine bruyante.
Le photographe de rue essaiera dans la mesure du possible de maitriser ces contraintes et des fois le passage en noir et blanc permettra de réduire le bruit et retrouver son sujet.
Esther FR
Un article bien tourné, comme toujours, réfléchi et plein de références passionnantes. Je ne connaissais pas le film « blanca nieves » (ma culture cinématographique est limitée, je m’en bats la coulpe !) j’ai regardé la bande annonce et j’aime beaucoup les différents plans, on pourrait en sortir de superbes photos noir et blanc.
En lisant le titre de cet article, je savais que tu n’allais pas nous assommer avec un argumentaire sur la façon de réduire le bruit techniquement en post-traitement et tant mieux !
Le nom de Fred Herzog me disait quelque chose mais j’ai pris plaisir à aller découvrir un peu plus de son travail.
« Toute photo de rue n’est pas bonne en noir et blanc et vice versa avec la couleur » c’est vraiment ce qu’il faut retenir…
Avec la couleur, il est peut-être plus difficile d’attirer l’attention sur ce qu’on veut faire passer, ça donne une contrainte de plus dans la composition, et c’est un défi supplémentaire que j’aime bien.
Ta photo : jeu d’échelle (encore un titre à double sens!) est parfaite pour ça : la touche de rouge attire le regard sur la fille qui passe avec son portable. Sinon, en noir et blanc, pas sur qu’on l’ait remarqué. Bon choix.
Le jeu des indices : dans la photo couleur, il est finalement moins évident de cerner l’époque que dans la noir et blanc (mis à part la tenue de la fille sous le parapluie, et encore). Dans la noir et blanc, tout fait référence à notre époque dans l’arrière-plan, alors que la scène aurait pu se passer il y a 30 ans… CQFD !
« ouverture vers le monde » me rappelle quelque chose 😉
Amor
Ce film m’avait marqué déjà avec son côté graphique noir et blanc, je le reverrais bien maintenant avec un œil plus photographique. C’est sur que la couleur doit être plus maitrisée surtout dans les villes, mais on a pas toujours le choix, s’il vous plait mademoiselle pas ce tee-shirt rouge…
Jeux d’échelles j’avais préparé mon coup avec l’ombre, le dessin et la passante qui arrivait et pouf un véhicule passe. J’étais furax car il y avait pas grand monde, et puis… comme quoi.
Quelques éléments urbains dans averse sont récents.
Esther FR
P.S : beaucoup mieux la présentation des photos en format large (désolée de squatter les commentaires 😉 )
Delphine
Un article vraiment intéressant !
Globalement, qu’il s’agisse de N&B ou de couleurs, moi j’aime le grain de l’argentique mais je cherche à faire disparaitre le bruit numérique qui me gène vraiment …
Et tu as raison sur ta conclusion la lisibilité de l’intention est ce qui compte
Amor
Merci Delphine.
Le bruit numérique est moche c’est vrai, mais avec LR on arrive quand même à l’éviter la plupart du temps, mais si tu es dans les tons « ombreux » ça dépend beaucoup de l’appareil et de la prise de vue, je pense.
Anne LANDOIS-FAVRET
Très intéressant ! Tu as su dégager beaucoup d’axes pour ton articles, bravo ! Je ne suis pas une spécialiste de la photo de rue, mais il est clair qu’il ne faut pas systématiquement verser dans le noir et blanc ! Il est souvent adapté, mais parfois la couleur a tout son intérêt, la couleur peut également diriger l’œil sur quelque chose en particulier. Et après tout, on reproche parfois à la désaturation partielle d’orienter l’œil artificiellement, sous-entendant parfois que c’est pour compenser un manque de composition, mais, fondamentalement, le noir et blanc (utilisé maintenant, pas avant, ils n’avaient que ça), peut être interprété de la même manière, car il permet d’enlever des éléments colorés gênants, il permet aussi de rattraper une exposition moyenne. Même si bien sûr, ça n’enlève rien au « cachet » du noir et blanc.
Je suis plutôt d’accord avec toi que le fait de jouer sur l’intemporalité avec le noir et blanc est un peu facile. Il y a tellement d’exemple ou la photo fait moderne, rien que par le style, la mode du moment. Et puis par d’autres éléments modernes tel le QR-code en fond !
En tout cas, une jolie réflexion. Certaines fois, le noir et blanc peut s’imposer dès la prise de vue, et parfois, ça mérite réflexion.
Amor
Merci pour ton commentaire avisé malgré ta pratique différente, mais toi aussi tu fais des choix sur tes photos dans ton domaine. Finalement cette réflexion sur le noir et blanc s’applique à d’autre domaine, paysage, portait, architecture…
La désaturation partielle j’ai pas trop réfléchi à cet aspect. D’ailleurs je ne connaissais pas ce « genre » avant de commencer à photographier. J’avoue que je ne sais pas trop quoi en penser.
Tina
Great article and pictures. I’m glad Esther linked to your blog in her blog. I look forward to reading more of your posts.
Amor
Hello Tina.
Thank you for this first review in English in my blog. Esther and I have the same approach to the photo and I appreciate his work. Happy reading my articles.
Alexandre
Bonjour Amor,
Article très intéressant et très riche. A mon sens, la couleur est un élément de composition très fort, que ce soit en photo de rue ou dans d’autres domaines. A l’inverse, le noir et blanc permet de composer différemment, de jouer avec d’autres éléments.
Finalement couleur ou noir et blanc peu importe, le plus important à mon avis c’est de rester cohérent dans ses images, sans tomber dans une certaine monotonie. Je pense que tous les photographes se posent cette question à un moment donné. J’ai lu une interview récente de Thomas Leuthard qui se pose pas mal de questions à ce sujet en ce moment.
Alexandre
Amor
Merci Alexandre très bon résumé.
Tu as raison la monotonie est l’ennemi du photographe sauf à la rendre artistique ce qui n’est pas à la portée du (de la) premier(ère) venu(e).